Nous avions interviewé Romain Pirracchio, Professeur à UCSF et Chef de Service à l’Hôpital Zuckerberg de San Francisco en avril dernier au sujet du Covid19. Aujourd’hui, le fameux « miracle Californien » semble s’estomper. Le nombre de nouveaux cas a atteint des records le 8 juillet 2020 alors nous avons souhaité faire le point avec lui sur la situation.

9000 nouveaux cas en Californie le 7 juillet 2020, un record journalier… Quelle est la situation à San Francisco ?

Il y a effectivement eu une augmentation assez importante de cas et d’hospitalisations il y a une dizaine de jours, avec des causes multi-factorielles notamment liées à l’épidémie de la prison de San Quentin à Marin County ainsi qu’un certain nombre de cas de Covid19 dus à des clusters dans des shelters de San Francisco. Néanmoins, en comparaison avec le reste de la Baie et surtout le reste de la Californie, San Francisco reste largement préservée et nous sommes loin des villes les plus touchées aux Etats-Unis, et l’on reste dans une position moins défavorable que les autres.  Nous avons été alarmés par l’augmentation rapide même si heureusement nous ne déplorons pas de nouveau décès depuis une semaine. 

Comment analysez-vous le fait que la ville de San Francisco soit épargnée ? Confirmez-vous que le confinement qui perdure y est pour quelque chose ? Avez-vous d’autres facteurs extérieurs ?

Plusieurs facteurs sont en jeu dont une forme de confinement qui perdure un peu plus à San Francisco, pas nécessairement par décision mais pour des raisons de fait : San Francisco est un endroit où en période estivale les gens ont moins tendance à s’auto-déconfiner. Par exemple les bars et restaurants étant toujours (malheureusement pour eux) fermés on ressent moins l’impact de cette période estivale dans la ville de San Francisco que dans le Sud de la Baie. Le caractère citadin du comté de San Francisco fait que l’impact du Covid19 est moins important.

Et ensuite il y a toujours l’importance du télétravail qui implique, entre autres, la limitation de l’usage des transports en commun etc. Il faut bien se rappeler l’impact bloquant majeur des confinements à travers le monde.

Avez-vous une explication du delta entre le nombre record de nouveaux cas et la diminution des décès ? 

Par rapport au début de l’épidémie ou du moins aux mois d’avril/mai et maintenant, cette différence peut s’expliquer en partie par l’augmentation de la capacité de test. Comme on teste beaucoup plus, on peut tester des gens qui sont asymptomatiques ou moins symptomatiques en comparaison à mars / avril où l’on ne testait que les gens à l’hôpital. 

Parmi ces patients singulièrement malades beaucoup développaient des formes graves et  potentiellement mourraient alors que maintenant on diagnostique beaucoup de cas asymptomatiques ou moins graves.

Vous aviez évoqué avec nous l’éventualité d’une immunité collective dans la baie plus forte qu’ailleurs, la population ayant pu être exposée au virus sans le savoir fin 2019, confirmez-vous ?

A l’heure actuelle, l’enquête sur la date d’apparition du Covid19 continue à l’échelle mondiale et même si l’on sait que le virus a circulé avant le début de l’année 2020, il y a encore un travail d’investigation important pour être en mesure de pouvoir retracer la genèse de l’épidémie. En ce qui concerne l’immunité collective, les travaux ne sont pas à ma connaissance, en faveur de cette hypothèse-là.

On parlait beaucoup des origines ethniques des populations affectées : avec le recul, le nombre de tests effectués… est-ce confirmé ?

Il y a un point assez clair et malheureux c’est qu’il est toujours absolument évident que les catégories socio-économiques les plus défavorisées sont affectées de manière disproportionnée en ce qui concerne les formes graves, catégories où l’on retrouve les minorités ethniques. Les Afros-Américains notamment, sont touchés de manière plus importante dans les formes graves et ainsi dans les décès. Ceci témoigne très probablement d’une injustice dans l’accès aux soins et donc d’un état de santé préalable et d’une vulnérabilité à l’infection plus importante.

Où en est-on à ce jour des vaccins et médicaments ? 

Concernant les traitements, quelques ajustements ont été fait au fur et à mesure du temps, en affinant des stratégies qui semblaient être plus efficaces que d’autres mais il n’y a pas eu de vraie révolution thérapeutique à ce jour. 

Quant au vaccin, je ne suis pas au plus près de ces dossiers pour répondre au mieux à cette question, mais il ne semble pas qu’un vaccin soit disponible très prochainement .

Que pensez vous du port du masque ? Est-ce une bonne solution ?

C’est LA SOLUTION à l’échelle collective jusqu’à ce que l’on en ait une meilleure, probablement jusqu’à ce que l’on ait le vaccin. Il est évident que les mesures barrières ont fait la preuve de leur efficacité. Le port du masque, le lavage des mains, la distanciation sociale et la limitation de la présence prolongée dans des endroits confinés sont quatre éléments qui sont essentiels tant que l’on n’aura pas une mesure d’immunité comme un vaccin. 

J’encourage vivement à suivre scrupuleusement ces mesures, et notamment concernant le port du masque. Je tiens à préciser qu’il s’agit de BIEN le porter, à savoir qu’il doit couvrir de l’arête du nez  jusqu’à la bouche.

Les toutes nouvelles déclarations de l’OMS sur le fait que le virus pourrait être “airborne / aéroporté”, que cela signifie-t-il exactement ?

Jusqu’à présent on estime que le virus est transmis via les micro-gouttelettes que l’on émet en parlant/ respirant/ toussant etc.. et qui retombent assez rapidement. Aéroporté signifie que le virus pourrait rester en suspension dans l’air et y vivre de manière autonome. Des travaux sont effectivement en cours pour infirmer ou confirmer cette théorie. 

Si elle était confirmée, cela impliquerait des niveaux de contagiosité tout autres et nécessiterait des mesures de protection totalement différentes notamment pour le personnel soignant. Les résultats des travaux en cours devraient être connus dans les prochaines semaines. 

Est-ce vraiment utile de faire un test 3 jours avant de rentrer en France par exemple afin de rendre visite à sa famille ? 

Il est raisonnable de se faire tester mais il faut garder à l’esprit qu’il n’y a pas de stratégie magique et ni de caractère absolu. Il faut donc absolument maintenir les mesures barrière  avant d’avoir pu se mettre en quatorzaine si l’on rend visite à des personnes à risque (65 ans et + ainsi que les personnes porteuses de pathologies chroniques).

Depuis notre comté de San Francisco toujours confiné, on regarde vers la France bien déconfinée… pourquoi une telle différence ?

Il y a plusieurs raisons : tout d’abord il y a un décalage temporel entre la France et les USA. Ensuite il n’y a pas eu de stratégie uniforme aux Etat-Unis alors qu’il y en a eu une en France. En France, on sort d’un confinement global du pays alors qu’aux Etats-Unis on sort pour certains états de confinements locaux, et certainement pas pour l’ensemble du pays. Les stratégies ayant été très hétérogènes, on a un contrôle de la diffusion du virus qui est très hétérogène lui aussi. De plus lorsque l’on est dans un état qui attire plus les gens l’été, comme en Californie, le virus est facilement importé par des visiteurs venant d’états où le virus circule davantage car le confinement était moindre.

La courbe n’est jamais montée à San Francisco… pensez-vous que cela peut encore bouger ?

Il est très difficile de prévoir d’autant plus que San Francisco est encore relativement confinée à cause du Covid19… Qui sait ce qui peut se passer lorsque l’on va déconfiner avec des gens de nouveau dans la rue, les restaurants, les transports en commun etc… donc pas de prédiction.

Une lueur d’espoir ?

Oui la lueur d’espoir c’est de voir ce qui ce passe en France, même en Europe où les déconfinements se sont pour l’instant bien déroulés dans l’ensemble sans rechute majeure pour le moment. Ici cela prendra un peu plus de temps…

Merci Professeur Pirracchio

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