Dans son entretien avec MerciSF, Nicole Bernstein, la francophile à la tête du User Experience Design chez The RealReal, partage son parcours vers le luxe durable et nous fait découvrir le modèle de distribution circulaire du marché de luxe de seconde main.
Nicole n’a pas décroché un rôle de design dans une grande entreprise de luxe d’occasion par accident. Adolescente, elle parcourait déjà les magasins vintage de San Diego à la recherche des Levi’s et des t-shirts vintage les plus convoités. Au lycée, elle a même acheté une robe Prada d’occasion pour le bal de fin d’année (“prom”). Après avoir obtenu un Bachelor en littérature comparée de l’Université de Princeton et un Master en journalisme de l’Université de Columbia, Nicole a poursuivi une carrière dans le design et rejoint la société de design Ideo, rendue célèbre par son approche révolutionnaire du design centrée sur l’humain.
Il n’est pas surprenant qu’elle dirige désormais le design et la recherche sur l’expérience d’utilisateur chez The RealReal, l’une des principales sociétés de revente de produits de luxe.
Vous avez rejoint The RealReal (TRR) en 2021, 10 ans après sa création, pour diriger le UX Design, pouvez-vous nous dire ce qui vous a attiré vers cette entreprise
J’ai été attirée par la mission de l’entreprise de prolonger le cycle de vie du luxe. Les objets de qualité peuvent vivre de nombreuses vies et changer de mains d’innombrables fois tout en conservant leur beauté et leur valeur. Ce modèle circulaire rend le luxe plus durable et également plus accessible, permettant à davantage de personnes de posséder et d’apprécier des produits de luxe, leur donnant la liberté d’être qui ils veulent quand ils le veulent.
Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce rôle de concepteur UX et quel a été l’impact de votre département sur l’entreprise jusqu’à présent ?
Mon rôle a été créé pour constituer une équipe de design et apporter à l’entreprise une approche du design centrée sur l’humain. Le design ne doit pas seulement être une question d’esthétique, il s’agit de fabriquer des produits que les gens aiment utiliser, il a donc un rôle à jouer dans la génération de clients pour la vie. Nous nous concentrons sur le « pourquoi » au centre du processus de prise de décision des gens et concevons dans ce sens.
Mon département conçoit de nouvelles fonctionnalités et expériences de produits pour nos acheteurs et nos vendeurs (ainsi que pour notre équipe en charge des opérations) sur toutes nos plateformes numériques. Par exemple, nous avons créé de nouveaux outils pour offrir une plus grande transparence aux vendeurs sur les revenus et les commissions, comme un estimateur de revenus pour les sacs à main qui vous permet de trouver votre sac et de voir à quel prix des sacs similaires se sont vendus dans le passé. Nous avons également aidé nos vendeurs à acheter et à vendre plus intelligemment avec Insights, un espace sur notre site où nous partageons des données exclusives sur les tendances de la plateforme pour les aider à maximiser leurs revenus – par exemple, « Les boucles d’oreilles Chanel sont le style le plus convoité, 88 % se vendent dans les 30 jours.
TRR est l’un des pionniers de la revente de luxe, comment l’entreprise a-t-elle été créée et qu’est-ce qui la distingue des autres dépôts-vente de luxe durable ?
Nos fondatrices ont poursuivi sans relâche leur rêve, un rêve très en avance sur son temps. La revente était considérée comme quelque chose de presque honteux… Maintenant c’est une aspiration, et je pense que nous avons joué un rôle important dans le changement. La vision de nos fondateurs combinée à la demande des consommateurs pour plus de durabilité a créé la “tempête parfaite” pour le lancement de The RealReal et je pense que le service hautement personnalisé, la facilité de tout cela et l’accent mis sur l’expertise et l’authenticité nous distinguent vraiment.
Pouvez-vous nous parler du modèle commercial de la consignation et de la manière dont vous vous procurez et commercialisez vos produits ?
Nos expéditeurs sont des gens comme vous ! Nous organisons des spots télévisés et des campagnes sur les réseaux sociaux pour attirer les acheteurs et les vendeurs, et grâce à nos équipes de marketing et de vente, nous avons la plus forte notoriété de marque que nous ayons jamais eue. Nous avons 32 millions d’acheteurs à ce jour, dont beaucoup se connectent à 7h et 19h pour les nouvelles sorties de produits ! La majorité de nos articles sont uniques, c’est pourquoi de nombreux clients essaient de mettre la main sur les nouveaux produits dès qu’ils arrivent sur nos étagères (virtuelles).
Comment le TRR contribue-t-il à une industrie de la mode plus circulaire ? Pensez-vous que le modèle de revente en ligne, également appelé “recommerce”, soit la voie à suivre pour faire grandir le marché du luxe d’occasion à long terme ?
Bien sûr, en gardant les produits en usage et en encourageant l’achat d’articles déjà en circulation plutôt que sur le marché primaire, nous créons un cercle vertueux de gérance de la qualité qui réduit les émissions. Le produit le plus durable est celui qui existe déjà. La croissance de l’industrie, et franchement de la concurrence, est une bonne chose pour nous tous. Nous augmentons la taille du gâteau et notre part grandira en conséquence.
Dans quelle mesure le TRR a-t-il réduit l’empreinte carbone de l’industrie du luxe et comment mesurez-vous cet impact environnemental ?
Depuis sa création jusqu’au 31 mars 2023, la consignation via le TRR a permis de maintenir 32,7 millions d’articles en circulation, tout en économisant 3,7 milliards de litres d’eau et 69 997 tonnes métriques de carbone (environ l’équivalent des émissions aller-retour de 22 000 vols entre San Francisco et Paris pour un passager). Notre calculateur de durabilité personnalisé, créé en partenariat avec la Fondation Ellen MacArthur, mesure les gaz à effet de serre, l’énergie et l’eau économisés grâce à la revente de nos produits.
Comment vos équipes font-elles la différence entre un vrai et un faux luxe dans une industrie fortement touchée par la contrefaçon ? En d’autres termes, comment les produits sont-ils authentifiés ?
Vision par ordinateur, “machine learning” et nos experts passionnés ! Nos experts sont les personnes qui peuvent faire la différence lorsque la technologie ne le peut pas – parfois, cela peut se résumer à la sensation ou à l’odeur de quelque chose.
Quels sont certains des plus grands défis et opportunités dans cette industrie du luxe d’occasion ?
Comme la plupart des entreprises, il s’agit de rendre l’expérience facile et désirable pour le client (réduire les barrières à l’entrée, qu’elles soient mentales, émotionnelles, physiques), et de rendre les opérations plus rapides et plus rentables sans compromettre la qualité.
The RealReal a été fondé et est bien implanté aux États-Unis, vous êtes-vous développé à l’international ?
Pas encore, nous nous concentrons avant tout sur la consolidation de notre présence et de nos opérations aux États-Unis.
Voyez-vous la France comme un futur grand marché pour la revente de produits de luxe et pour TRR ?
Oui, je vois bien la France devenir un gros marché pour le luxe durable et certaines grandes enseignes de distribution et marques (Printemps, Bon Marché, Sandro, Petit Bateau…) s’y mettent déjà ! Peut-être qu’un jour TRR sera lancé en France, et j’aimerais beaucoup ouvrir ce bureau !
Pouvez-vous nous parler de vos racines et de la manière dont elles ont façonné votre parcours jusqu’à présent et contribué à définir votre cheminement de carrière ?
Mon père est né au Maroc et ma mère est originaire de Mexico, j’ai donc grandi en parlant trois langues à la maison. Je pense que cette éducation multiculturelle a insufflé très tôt un profond sentiment de curiosité dans ma personnalité et un vif intérêt pour la narration et les relations humaines qui ont façonné mon cheminement de carrière.
Quelles sont certaines de vos marques françaises préférées vendues sur TRR ?
Chanel, bien sûr ! Je lis actuellement la biographie de Justine Picardie sur Coco Chanel. Je suis tellement inspirée par Coco, une femme qui vient de conditions très difficiles et qui a construit une marque avec une telle longévité qui est restée si élégante et aspirationnelle jusqu’à ce jour. Elle a sorti les femmes des corsets et les a mises dans des vêtements décontractés plus simples et plus confortables qui avaient toujours l’air chic. Son jersey était un tissu pour sous-vêtements masculins !
Vous avez élu domicile à San Francisco au cours des 17 dernières années. Quels sont certains de vos endroits préférés (d’inspiration française) à SF ?
J’aime la nourriture, alors en tête de liste se trouvent la Boucherie d’Olivier, Tartine et la boulangerie Noe Valley… Zuni pour les huîtres et le champagne. Le bar de Zuni n’est pas en zinc, mais son impressionnant bar en cuivre fera l’affaire !
Merci Nicole !