Pour trouver la réponse, nous sommes allés voir à la source, Annabelle Mauger, la co-réalisatrice d’Imagine Picasso. Nous avons essayé de comprendre ce que Imagine Picasso avait de différent des autres expériences « immersives » actuellement à l’affiche.
Tout d’abord, Annabelle Mauger est considérée comme une pionnière de cette forme d’événement puisqu’elle a débuté il y a 20 ans à la Cathédrale d’Images aux Baux de Provence.
En quittant le sud de la France, elle a décidé de garder le concept vivant et l’a affiné avec une équipe triée sur le volet.
Elle a conçu Imagine Picasso en collaboration avec la Succession Picasso, Olivier Picasso, le petit-fils de l’artiste, Androula Michael, historienne de l’art reconnue, et le célèbre architecte Rudy Ricciotti (MUCEM à Marseille) avec qui Annabelle travaille depuis 2011.
Elle a donc dirigé ce projet ambitieux avec un fort niveau d’appuis et l’agilité technique de Julien Baron, son associé.
Parlez-nous de vous et de cette exposition ?
« Cette exposition brise toutes les règles du spectacle immersif. Tout a commencé il y a 20 ans lorsque je travaillais à la Cathédrale d’Images en Provence. J’utilisais alors d’anciennes carrières m’offrant des murs de 17 mètres de haut pour projeter des images.
Mais quand j’ai dû concevoir l’exposition Picasso dans un espace dont le plafond était beaucoup plus bas à Lyon, je me suis retrouvée face à deux obstacles de taille.
Le premier consistait à passer d’un environnement entièrement vertical à un espace beaucoup plus horizontal.
Alors j’ai contacté Rudy Ricciotti. Je lui ai fait part de mon inquiétude, notamment du fait que par rapport au site précédent, la hauteur de la salle était considérablement réduite. L’espace de projection était de fait très différent. Il a aimé ce défi, et en tant qu’architecte, il a trouvé la solution ; sa réponse a été de concevoir divers modules inclinés que nous utilisons maintenant pour projeter des images en tirant parti des obliques.
Le deuxième obstacle était que nous nous retrouvions avec de longs, très longs panneaux horizontaux.
Et là, j’ai trouvé la solution en discutant avec Androula Michael, qui a écrit plusieurs livres sur Picasso. Je me suis souvenue qu’au cours d’une conversation, elle avait rapporté l’anecdote suivante ; alors qu’un conservateur demandait à Picasso comment il aimerait voir ses tableaux exposés, il avait répondu : « n’importe comment ».
En effet, dans un atelier d’artiste, les toiles sont posées « n’importe comment », à l’envers, sur le côté… La projection vidéo permet d’éviter la gravité et donc d’exposer « n’importe comment ».
En fin de compte, les contraintes d’espace ont donné à l’équipe une grande liberté, une liberté que les musées ne peuvent pas se permettre. Essayez de demander au MOMA de New York d’exposer Les Demoiselles d’Avignon à l’horizontale !
Avec la vidéo, nous pouvons nous permettre cette liberté, et cela nous aide à mettre l’accent sur différents détails des toiles. »
Pouvez-vous comparer votre travail à celui d’un commissaire d’exposition qui interprète le travail de l’artiste ?
« Je me compare plutôt à un chef d’orchestre… Je sais plus ou moins jouer de chaque instrument mais pas assez bien pour être soliste. Techniquement, je m’appuie sur Julien Baron, qui gère plus de 80 écrans et 70 projecteurs pour cette installation. Mais pour la sélection des œuvres, je travaille avec Androula Michael, qui connaît l’œuvre de Picasso sur le bout des doigts. Et il y a Rudy Ricchiotti, qui m’aide à appréhender l’espace et les volumes. En fin de compte, je suis le co-directeur de l’événement, mais c’est vraiment un travail d’équipe. »
Comment vous comparez-vous à l’Atelier des Lumières (Paris) et aux autres expériences « immersives » ?
« Je viens de Cathédrale d’Images, le spectacle immersif originel créé par Albert Plecy, appelé Image Totale© qui a débuté en 1977.
Ce que vous voyez dans l’Atelier des Lumières est une image en mouvement. La toile originale est modifiée. Dans mon cas, je ne change pas l’oeuvre ; Je zoome sur une partie de l’œuvre ou un dessin, considérant que la peinture est déjà elle même en mouvement.
Tout en approuvant l’exposition, La Succession Picasso m’a formellement interdit d’ajouter du mouvement dans les toiles. Pour moi, le mouvement est dans le coup de pinceau. J’utilise souvent l’exemple de la Cène de Leonard De Vinci, où les apôtres sont en mouvement même si le tableau, par définition, est immobile.
L’autre différence notable est que dans la plupart des expériences immersives, on voit une reproduction infinie d’un morceau de peinture sur le sol, sur les murs… C’est comme si un texte était composé d’un seul mot et reproduit à l’infini.
Avec Imagine Picasso, nous avons sélectionné différents tableaux, et c’est comme s’ils se répondaient pour composer une phrase complète. »
L’immersif semble être la nouvelle norme ? Comment vous positionnez-vous face à cette tendance ?
« Bien sûr, le mot immersif est actuellement surexploité et ce n’est d’ailleurs pas un concept nouveau. Les musées ont créé ce terme dans les années 80 pour tenter de renouveler les expositions d’art. L’un des pionniers de l’immersif a été le Grand Palais à Paris quand ils ont commencé à organiser leurs expositions en mettant les toiles en situation. Pourant à l’époque, ils n’utilisaient pas du tout la vidéo.
Je préfère le terme « Image Totale© » pour décrire ce que nous faisons. Olivier Picasso, le petit-fils de l’artiste, m’a adressé l’ultime compliment en visitant l’exposition et en me disant : « Je connais le travail de mon grand-père sur le bout des doigts, mais en regardant l’exposition, j’ai l’impression d’être un peu dans sa tête. » »
Pensez-vous que c’est une façon de démocratiser l’art et d’amener un public qui n’irait pas dans les musées ?
« Ce n’est un secret pour personne que les musées ne sont pas vraiment à la mode, en particulier pour les jeunes générations. Nos expositions proposent une expérience numérique, mais nous essayons de leur donner un côté pédagogique.
Par exemple, avant d’entrer dans l’exposition, le visiteur traverse une salle qui retrace la vie de Picasso et les différentes époques de son art. Nous le faisons avec un mélange de médias numériques et classiques afin de préparer le visiteur à pénétrer dans le monde de l’artiste.
Dans la même logique, la dernière salle présente une reproduction des +200 œuvres exposées dans la salle principale. Sans prétendre être une conférence sur Picasso, nous avons l’intention de fournir un contexte. »
Avez-vous déjà imaginé une exposition hybride avec une expérience numérique juxtaposée à des peintures réelles ?
« Lorsque nous avons commencé à travailler avec Androula Michael, nous savions que cette expérience numérique nous permettrait de créer l’exposition idéale en piochant dans pas moins de 200 tableaux ; mais il n’est pas envisageable que le musée Picasso à Paris nous laisse emprunter ses toiles ou que Madrid nous prête Guernica.
Nous espérons qu’après avoir vu Imagine Picasso, les visiteurs auront envie de voir les œuvres d’art originales lorsqu’ils en auront l’occasion. »
Quel est votre prochain projet après Picasso ?
« Ma prochaine aventure est centrée sur Claude Monet, et l’exposition est actuellement visible à Montréal.
Monet est un excellent candidat pour un projet Totale Image. Les Nymphéas de l’Orangerie ont été la toute première expérience immersive. Les panneaux de nénuphars n’avaient pas de cadres, mesuraient jusqu’à 17 mètres de long, et étaient sur les murs entourant les visiteurs ! »
Imagine Picasso est visible jusqu’au 27 mars 2022… Alors ne trainez pas trop.
Dates : du 9 février au 9 avril 2022
Adresse : Skylight at the Armory – 1800 Mission Street, San Francisco, CA 94103
Billets : réservez ici
Merci Annabelle Mauger et son équipe !