Frédéric Patto, Directeur du TLF-San Francisco nous fait une belle surprise en nous livrant l’histoire du théâtre français à San Francisco de la ruée vers l’or au début du 20ème siècle.

Les pionniers du théâtre français à San Francisco

Vous pensiez que le TLF, théâtre francophone situé dans les locaux du lycée français de San Francisco (LFSF) était une originalité de notre temps ? Détrompez-vous ! Depuis l’époque de la ruée vers l’or, des passionnés ont cherché à divertir leurs contemporains. Cet article est le premier d’une série retraçant la grande aventure du théâtre français à San Francisco, de sa création à nos jours. 

En 1848, de l’or est découvert en Californie. Grâce au télégraphe, la nouvelle se diffuse dans le monde entier, et notamment dans les grandes villes françaises. Entre 1848 et 1854, plus de 5 000 français débarquent à San Francisco, après un périlleux voyage de plus de 6 mois passant par le Cap Horn. Ils sont de tout âge, bourgeois, nobles, artisans, ouvriers, artistes et rêvent de l’Eldorado américain. Beaucoup viennent de Paris et des grandes villes. Il faut dire qu’en France nous sommes en pleine Révolution. Si certains font des plans sur la comète en prenant le large, d’autres, en revanche, veulent tout simplement travailler, car le chômage est bien réel.

Les débuts du théâtre français à San Francisco (1850)

Les frères Cogniard

La fabuleuse histoire du théâtre français à San Francisco commence réellement en février 1850. Des acteurs français présentent le premier vaudeville : Bruno le Fileur des Frères Cogniard, grands auteurs dramatiques français de l’époque. Le nouveau Théâtre National situé sur Washington Street, entre Montgomery et Kearny Street, accueille la performance. Contre toute attente, la communauté française s’y précipite, heureuse de pouvoir se retrouver et se divertir. Le succès de cette première tentative pousse alors d’autres immigrants dont trois femmes : Mesdemoiselles Racine, Adelbert et Courtois, à créer la première troupe de théâtre français “The French Vaudeville Company “. 

Elles recrutent des acteurs français et présentent un dimanche du mois de décembre de la même année une série de vaudevilles en un acte, succès parisiens de l’époque dont : Les Petits Souliers, Le Commis, La Grisette, Le Pauvre Jacques. La première représentation se joue à guichets fermés. Les Français prennent alors la direction du théâtre de l’Adelphi situé en plein coeur du quartier français, sur Commercial street. Les trois actrices y proposent deux représentations par semaine. Cet ancêtre du TLF  devient un haut lieu de divertissement et de socialisation pour la communauté française. 

L’épopée d’Albert Bénard (1851-52)

Le succès retentissant de cette compagnie française poussent un autre Français à se lancer dans l’aventure : le Parisien Albert Benard de Russailh, alors à la recherche d’une nouvelle source de revenu. Opportuniste, il crée une nouvelle troupe et lui donne le nom peu original de la “Second French Vaudeville Company”. Il y recrute des acteurs rencontrés lors de sa traversée sur le bateau Joseph. Parmi eux, Alexandre Munié de la Porte St Martin, son frère Jules Munié, Charlot de la Gaieté et Madame Bruneval des Folies dramatiques, tous acteurs confirmés. 

Albert Benard n’est pourtant pas un homme de théâtre, tout au plus un spectateur averti. Son histoire est digne d’un roman d’aventures. Il débarque à San Francisco en mars 1851. Mais il n’a pas alors les moyens de s’acheter l’équipement pour se lancer à la recherche du métal précieux. Comprenant très vite qu’il est sans doute plus facile d’extraire l’or des poches des mineurs que des mines, il se lance alors dans le commerce des cure-dents puis des montres. Mais suite à des plaintes sur la qualité douteuse de sa marchandise, les autorités locales lui interdisent de continuer son affaire. 

Convaincu qu’il est victime d’une discrimination contre les Français, il rédige alors une lettre publiée dans le Daily True Standard, le seul quotidien avec quelques colonnes en français. Le lendemain, le rédacteur en chef du département français du journal, également chercheur d’or et désireux de retourner à la mine, lui propose de le remplacer. Ni écrivain, et encore moins journaliste, Albert Benard devient ainsi le nouveau rédacteur en chef du département français du Daily True Standard, quelques semaines seulement après son arrivée ! Il écrit donc naturellement les premières critiques des vaudevilles français. S’il salue l’initiative des trois femmes, il n’en est pas moins excessivement critique et leur reproche un certain amateurisme. Il crée une nouvelle troupe afin de proposer des spectacles de meilleure qualité. Mais ses intentions, bien que louables à première vue, n’en restent pas moins essentiellement pécuniaires. Son salaire de rédacteur lui permet à peine de se payer un bon dîner. 

Adelphi TheaterLes premières représentations de la “ Second French Vaudeville Company ” se jouent également au théâtre de l’Adelphi. Ce qui ne sied pas aux créatrices de la première compagnie, qui obligent la direction du théâtre à congédier cette nouvelle troupe venue leur faire de l’ombre. Albert Benard passe donc un accord avec les dirigeants américains du théâtre Jenny Lind : la troupe peut y jouer le dimanche, à condition que le spectacle soit de couleur locale. C’est ainsi qu’il écrit son seul et unique vaudeville : Le Génie de la Californie, en 3 jours, et le présente le dimanche 20 avril 1851. C’est un véritable succès. 

D’abord journaliste, puis manager d’une troupe de théâtre et maintenant écrivain, Albert Benard vit son rêve américain. Mais de nombreux incendies ravagent régulièrement des quartiers entiers de la ville. Ceux du 3 et 4 mai 1851 détruisent les deux théâtres et le local du journal. Sans source de revenus mais toujours opportuniste, Albert Benard tente de se reconvertir dans l’architecture pour la reconstruction de la ville, mais cette fois, sans succès. Il quitte alors San Francisco, d’abord pour sa banlieue, où il perd le reste de ses possessions dans un autre incendie, puis il part explorer la Californie. Revenu à San Francisco quelques mois plus tard, il meurt du choléra en 1852. 

Son éloge funèbre est prononcée par le Vicomte Jules de France, un autre opportuniste au destin romanesque, tout aussi extraordinaire que tragique. Descendant direct de Robert le Fort, père de Robert I roi des Francs, le Vicomte s’improvise bonne d’enfant, journaliste et auteur dramatique.  Son vaudeville Monsieur Gogo en Californie “qui ne manque ni de sel ni de couleurs locales” (1)  se joue en juin 1852 au Théâtre de l’Adelphi, fraîchement reconstruit sur Dupont Street (l’actuelle Grant Avenue). Cependant, à la fin de l’année 1852, sous le Second Empire, les nobles recouvrant leurs titres et leurs propriétés, il décide de rentrer en France. Fauché, mais aidé par des amis, il reprend la mer. Son retour sera de courte durée puisqu’il meurt peu de temps après son arrivée au Havre.  

L’âge d’or du théâtre français (1852-55)

Les trois fondatrices de la “French Vaudeville Company”, quant à elles, vivent toujours à San Francisco. Dès la réouverture du Théâtre de l’Adelphi, elles y présentent de nouveaux vaudevilles d’auteurs dramatiques contemporains français, tels que : Le Fils d’un Agent de Change d’Eugène Scribe, ou encore Mademoiselle de Liron d’Adrien Decourcelle. La troupe de l’Adelphi se produit alors à nouveau deux fois par semaine. En août 1852, le théâtre est vendu à des Américains et les artistes français se voient limités à des représentations exclusivement dominicales. En 1853 cependant, des Français prennent la direction d’un nouveau théâtre, celui de l’Union, situé à l’angle de Commercial Street et Kearny Street. Ils y créent une nouvelle troupe. 

Le dimanche 18 septembre 1853 commence une nouvelle compétition : La Biche au Bois des frères Cogniards à l’Union et La Fille du Régiment, opéra comique de Gaetano Donizetti à l’Adelphi. Une nouvelle fois et contre toute attente, les deux théâtres sont quasi remplis. Les journalistes de l’époque s’étonnent de la diversité du public car malgré la barrière de la langue, il n’est pas rare de croiser des Américains, mais aussi des immigrés non francophones, attirés sans aucun doute par les situations burlesques qu’offrent les vaudevilles français. Même les acteurs américains assistent aux représentations, afin d’y apprendre les techniques de jeu à la française, plus avant-gardiste et naturelle. De nouvelles troupes poussent alors comme des champignons. D’autres théâtres de la ville, dont l’American ou le Metropolitan, accueillent à leur tour des productions françaises.  Fin 1854, le théâtre en français domine la vie culturelle de la ville et contribue avec les cafés, restaurants et boutiques françaises, à faire de San Francisco la “Paris de l’Ouest”.  

Le déclin du théâtre français (1856-1910)

Eureka TheaterLa fin de la ruée vers l’or précipite celle de l’âge d’or du théâtre francophone. Vers 1856, de nombreux Français quittent la ville pour la Colombie Britannique à la recherche de nouveaux gisements, ou pour la France, devenue plus stable politiquement. Les représentations théâtrales en français se font de plus en plus rares. De bihebdomadaires elles passent à bimensuelles, et le dimanche uniquement. Pour couronner le tout, l’État de la Californie promulgue la loi dite du “Sunday Ban” en 1858, interdisant l’ouverture des théâtres le dimanche. Dans ces conditions, le théâtre français ne peut que décliner. Il y a bien d’autres tentatives, mais elles restent éphémères tel La vie de bohème à l’Eureka Theater en 1863 ou encore l’Othello “polyglotte”, joué en anglais, français, allemand et danois en 1867. 

En janvier 1870, les artistes français restés sur place voient poindre une lueur d’espoir avec  l’abandon du “Sunday ban”, mais aussi l’arrivée d’une nouvelle vague d’immigrants. Cependant, la situation diffère des années 1850. Ces nouveaux Français viennent principalement des provinces. Ils sont moins habitués aux offres théâtrales que propose la capitale française, et leur vie sociale s’organise essentiellement autour d’associations ou de comités régionaux tels que La Société Alsace-Lorraine, La Gauloise ou encore La Ligue Henri IV. Plus soucieux de s’intégrer à leur nouveau pays de résidence, ils sont davantage friands de lieux de divertissements américains. A l’instar des familles américaines, ils fréquentent aussi les nouveaux parcs, notamment le Golden Gate Park inauguré en 1870. Ces nouvelles promenades changent considérablement les habitudes dominicales des familles et sonnent le glas d’un théâtre français déjà moribond. 

Ce n’est qu’en 1911 que le théâtre français renaît de ses cendres, mais c’est une autre histoire…

Bibliographie

  1. Les Français en Californie – David Levy – 1885
  2. The French Theater in San Francisco – Lawrence Estavan – 1939
  3. Historique de la présence française à San Francisco – Annick Fourrier- 2019 –
  4. http://www.sfmuseum.org/hist/chron2.html
  5. http://sanfranciscotheatres.blogspot.com/

Merci Frédéric

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