Maxime Le Forestier était revenu à San Francisco à l’occasion d’un concert qu’il avait donné en juin 2011. Frédéric Patto, le Directeur Artistique du Théatre du Lycée Français en avait profité pour faire une interview afin de mieux comprendre comment cette chanson de la Maison Bleue était née, dans les années 70.
Frédéric Patto : Avant votre venue à San Francisco, vous avez participé à une comédie musicale «Oh America !» . De quoi parlait-elle ?
Maxime Le Forestier : Comédie musicale, c’est un peu vite dit !
Nous sommes fin 1970, début 1971 dans un théâtre subventionné de Marseille. Un metteur en scène extrêmement intellectuel, Antoine Bourseiller, avait fait un voyage aux Etats Unis et en était revenu enchanté. Il avait fait un objet théâtral dans lequel il y avait un peu de tout : la convention démocrate de Chicago de 1968, un mec qui dansait nu sur le pont de Brooklyn… Il avait regroupé des images de l’Amérique, leur avait donné un sens politique.
Il avait décidé que le rôle principal ne devait pas jouer mais chanter et donc il m’a appelé pour que je l’aide à écrire les chansons car il n’y avait pas moins de 45 minutes de musique. Pour pouvoir me payer, il m’a donné le rôle de Jerry Rubin lors de la convention démocrate.
F.P. : Vous êtes venu pour la première fois à San Francisco au cours de l’été 1971. Qu’est-ce qui vous a donné envie de venir dans cette ville?
M.L.F. : Un homme qui s’appelle Luc Alexandre qui était un voyageur, un expérimentateur, un acteur. Je l’ai rencontré en Belgique et il m’a raconté sa vie dans cette ville et dans la maison bleue. J’étais avec ma soeur Catherine, nous avions gagné un concours de chansons en Belgique. Avec l’argent du concours nous sommes partis à San Francisco immédiatement et avons été accueillis dans la maison bleue.
F.P. : Vous avez donc vécu dans cette maison bleue. Dans la chanson, Luc est donc Luc Alexandre mais qui étaient Lizzard, Psylvia, Tom et Phil ?
M.L.F. : Lizzard et son compagnon étaient la tête pensante de la maison. Ils étaient l’âme de la maison.
D’ailleurs quand je suis revenu cinq ans plus tard, il n’y avait plus qu’eux qui y vivaient. Phil a écrit un livre sur cette maison. Psylvia, je ne l’ai pas rencontrée à San Francisco. Tout le monde en parlait dans la maison, et avec un nom pareil on avait envie de savoir qui c’était ; c’était un rêve.
Je l’ai vue à Paris bien des années plus tard sur un plateau d’une émission de TV consacrée à cette histoire et ce qui m’a le plus impressionné chez Psylvia, c’est que quand Times Magazine a fait un reportage sur je ne sais plus quel anniversaire de Woodstock, il y avait plein de photos et qui y était à Woodstock ? Psylvia.
F.P. : Qui d’autre résidait dans cette maison ?
M.L.F. : Pour la plupart, des jeunes Américains des années 70 qui avaient quitté leur famille pour vivre leur vie. Tout le monde était amoureux, libre. Beaucoup de gens comme nous étaient de passage et restaient quelques semaines ou quelques jours. La maison était située dans le Castro, un quartier extrêmement vivant. Il y avait des fêtes, toutes sortes de choses mais en même temps c’était une vie très organisée, ce n’était pas du tout le désordre, l’anarchie. C’était aussi très démocratique. Il y avait aussi des garçons déserteurs de la guerre du Vietnam.
F.P. : De cette maison vous dites dans la chanson « qu’ils ont jeté la clef ». Pourquoi ?
M.L.F. : Car c’était une maison communautaire. Nous avions été accueillis car nous étions des amis de Luc mais aussi parce que nous étions français et cela faisait assez exotique pour eux.
F.P. : Où avez-vous écrit et composé « San Francisco » ?
M.L.F. : Je l’ai composée à Paris car à la suite de ce séjour, j’ai continué à correspondre avec les habitants de la maison bleue. Ils ne correspondaient pas avec des mots mais avec des dessins et moi, un jour, je leur ai envoyé un enregistrement guitare et voix de cette chanson. C’est comme ça que cette chanson est née. Elle n’était donc pas faite pour être rendue publique. C’était une correspondance privée. Quand j’ai terminé mon premier album, il manquait une chanson et j’ai mis celle-là.
F.P. : Les Français qui viennent à San Francisco cherchent désespérément cette maison bleue. Mais personne jusqu’à présent ne savait où elle était réellement située. Un journaliste français du San Francisco Chronicle l’a récemment retrouvée avec votre aide, comment cela s’est-il passé ?
M.L.F. : L’été dernier au mois d’août , dans le Nouvel Observateur, une journaliste, Sophie Delassein, a écrit un papier sur la chanson. Et puis le papier sort et deux-trois jours plus tard, elle reçoit un email de ce journaliste de San Francisco, Alexis Venifleis, qui lui demande où est cette maison car le sujet l’intéresse. Elle me contacte et me demande donc où est située la maison bleue et je lui réponds :
»Comme d’habitude, adossée à la colline ! » car je ne me rappelais plus l’adresse. J’étais à la campagne où je garde toutes mes archives. Alors, je fouille et je retrouve mon carnet d’adresse de 1971 avec l’adresse de la maison : 3841 18th Street. Je la communique à ce journaliste. Il se rend sur place, il photographie la maison et là, scandale, elle est peinte en vert !
A partir de ce moment, il y a eu tout un mouvement sur le net pour repeindre la maison en bleu. Cela a pris des proportions telles que c’est cela qui a déclenché mon voyage en juin à San Francisco. La propriétaire de la maison est d’accord et une société de peinture française fournit la peinture et les ouvriers pour les travaux. Le Consul Général de France à San Francisco, Romain Serman, m’a demandé : »Pourquoi ne venez-vous pas faire un concert à San Francisco ? Nous déposerons une plaque et comme cela, je pourrai répondre à tous les gens qui me demanderont où est cette maison bleue ! » C’est un événement politique, un peu absurde, mais ça ne me déplaît pas. Le problème qui se pose est que depuis que la photo de cette maison est parue, beaucoup de gens sont déçus car ils pensaient que cette maison bleue était toute seule sur une colline !
F.P. : Combien de temps êtes-vous resté à San Francisco ?
M.L.F. : Entre 4 et 6 semaines, je ne me rappelle plus très bien mais suffisamment pour que ça me remue la tête.
F.P. : Qu’avez-vous donc fait pendant ce séjour à San Francisco ?
M.L.F. : Nous sommes allés quelques jours au parc Yosemite. Je me souviens encore des pancartes qui nous disaient de faire attention aux ours ! Nous sommes allés voir des concerts, des spectacles et diverses manifestations qui se passaient dans le quartier. J’ai personnellement beaucoup marché car j’aime marcher dans les villes. Et puis dans les villes américaines, comme toutes les rues sont perpendiculaires, ce qui est amusant c’est qu’on ne se perd jamais. J’ai vécu une vie qu’on n’avait pas l’habitude de vivre en France dans les années 70 où c’était plutôt coincé, assez militaire. Et puis, je sortais de 15 mois de service militaire et la liberté de ces garçons et de ces filles me paraissait proche du paradis.
F.P. : Quels étaient vos endroits préférés à San Francisco ?
M.L.F. : C’est trop loin pour vous dire. J’aimais beaucoup marcher jusqu’à Embarcadero, puis le quartier chinois, mais, vous savez, c’était il y a 40 ans.
F.P : J’ai lu que vous auriez rencontré à San Francisco un des leaders de la Beat Generation, le célèbre poète américain Allen Ginsberg. L’avez-vous réellement rencontré ?
M.L.F. : Non, j’ai assisté à un concert où Allen Ginsberg habillé en femme déclamait des poèmes en jouant du violoncelle. Je ne l’ai donc pas rencontré personnellement.
F.P. : Avez-vous toujours des amis à San Francisco ?
M.L.F. : J’ai une amie qui réside à Palo Alto.
F.P. : Votre amie est-elle la célèbre chanteuse américaine Joan Baez ?
M.L.F. : C’est elle, oui. Je ne vais malheureusement pas la voir en juin car elle sera en tournée à ce moment-là. Je l’ai vue à Paris récemment, elle est magnifique.
F.P. : Qu’attendez-vous de ce voyage ? De ce concert ?
M.L.F. : Ce que j’attends de tous les concerts : rencontrer un public nouveau. Il y a le côté poétique. Je suis très intéressé par le destin des chansons. Que 40 ans après, cette chanson provoque des mouvements surréalistes, festifs, je trouve ça joli. De revoir cette ville, aussi, car je n’y suis pas retourné depuis 1976.
Située sur la 18th St, entre Castro et Dolores Park, vous trouverez facilement la maison bleue, il y a une plaque commémorative et toujours quelques touristes français en train de faire un selfie.
Merci Maxime Le Forestier